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La glorieuse certitude du sport

Pas plus que vous je ne sais si cette édition 2012 de Roland-Garros sera passionnante ou ennuyeuse, quelconque ou exceptionnelle. Le jeu et les joueurs nous le diront. En revanche, nous pouvons d'ores et déjà êtres sûrs d'une chose: cette cuvée 2012 restera dans les annales. Elle aura une portée historique. Et ce quelle qu'en soit l'issue. Ce n'est pas si commun de pouvoir proférer une telle affirmation avant un Grand Chelem. En gros, nous avons quatre scenarios possibles. Chacun des quatre marquera un évènement important, voire colossal pour deux d'entre eux. Je m'explique:



Première possibilité: Victoire de Nadal. Il deviendrait alors le recordman absolu des victoires à Paris avec sept titres, laissant derrière Bjorn Borg qu'il a égalé l'an dernier. Sept titres à Roland-Garros à tout juste 26 ans, ce serait absolument exceptionnel. Depuis 1945, seule Pete Sampras, à Wimbledon, a atteint ce total de sept victoires dans un des quatre grands tournois du circuit.


Deuxième possibilité: Victoire de Djokovic. Déjà détenteur des titres à Wimbledon, l'US Open et l'Open d'Australie, le Serbe réaliserait le Grand Chelem à cheval sur deux saisons. Pas le vrai Grand Chelem, certes, mais à coup sûr un moment historique puisque personne, depuis Rod Laver en 1969 n'a détenu simultanément les quatre couronnes. Djokovic réussirait là où Federer, Nadal et Sampras (les seuls avec lui à avoir aligné trois victoires de suite depuis Laver) ont échoué.

Troisième possibilité: Victoire de Federer. A ce stade, la prochaine victoire du Suisse en Grand Chelem, si elle arrive un jour, sera forcément une des plus marquantes de sa carrière. Parce qu'il a passé la trentaine mais, surtout, parce qu'il n'a plus gagné depuis deux ans et demi. Or il est rare, à cet âge, de retrouver le chemin de la victoire après avoir été aussi longtemps sevré de titres. Il deviendrait aussi le deuxième joueur seulement à s'imposer au moins deux fois dans chacun des quatre tournois du Grand Chelem, après Roy Emerson.

Quatrième possibilité: Victoire de n'importe qui d'autre. Là encore, ce sera un évènement majeur. A eux trois, Djokovic, Nadal et Federer ont remporté les neuf dernières levées du Grand Chelem et 27 des 28 dernières. Depuis que Nadal est entré dans la cour des grands à Roland-Garros en 2005, seul l'US Open 2009, enlevé par Juan Martin Del Potro, a échappé à ce trio. Et à Paris, il faut remonter à 2004 pour trouver trace d'un vainqueur qui ne s'appelle pas Nadal ou Federer.

Evidemment, tous ces dénouements n'auraient pas exactement le même impact. Les deux dernières hypothèses constitueraient un évènement important, mais c'est sans conteste la mise en place du scenario un ou du scenario deux qui ferait basculer cette édition 2012 dans la grande Histoire du tennis. Que Nadal s'impose et 2012 restera à jamais comme celle du record de victoires. Que Djokovic parvienne à ajouter à sa collection le seul titre majeur qui lui fait défaut et, fort de ce "Djoko Slam", il comptera définitivement parmi les joueurs les plus marquants de l'histoire.

Cela tombe bien, le scénario Nadal et le scénario Djokovic sont aussi, d'assez loin, les deux plus crédibles. Le dernier est sans doute le moins probable, à moins d'une série de blessures touchant les trois ténors. L'hégémonie historique du trio majeur du circuit prendra bien fin un jour, mais je ne vois pas cet évènement se produire à Paris. Qui pourrait y mettre un terme? Murray? Il est intrinsèquement tout proche des trois autres, mais sa forme parait suspecte, sa préparation a été perturbée et, malgré d'indéniables progrès ces dernières saisons, la terre battue reste sa moins bonne surface. Il ya une marge entre atteindre le dernier carré, comme il a pu le faire l'an dernier, et gagner.

Et les autres? Tsonga ne sera jamais un terrien. Ferrer et Berdych sont capables d'accrocher les meilleurs, mais il leur manque toujours quelque chose. Surtout, il leur faudra probablement battre au moins deux des trois grands favoris pour soulever la coupe. Un, pourquoi pas. Mais deux ou trois… Reste Juan Martin Del Potro, l'intrus depuis 2005. Il a le talent et l'étoffe d'un champion. Mais il a beaucoup joué ces derniers mois et est apparu un peu au bout du rouleau à Rome. Il est sur la bonne voie mais pas sûr qu'il soit tout à fait prêt à rejouer dans la cour des très grands.

Place maintenant aux trois autres hypothèses. Nadal, Djokovic, Federer. De la plus probable à la moins naturelle. Federer peut (re)gagner Roland-Garros. Mais à une seule et unique condition: il ne doit pas croiser Nadal. C'est comme ça qu'il s'est imposé en 2009. Depuis 2005, il a joué (et perdu) cinq fois contre le Majorquin. Je vois mal pourquoi et comment il pourrait réussir aujourd'hui là où il a toujours échoué, à savoir prendre le meilleur en trois sets gagnants sur terre. Ça me semble illusoire. Mais si jamais il parvient à l'éviter (c'est tout de même un énorme "si" compte tenu du CV de Rafa à Paris et sur terre), tout sera possible pour Federer. Il peut battre n'importe qui d'autre, Djokovic compris. N'importe qui d'autre, mais, à mon avis, pas Nadal.

Il nous reste donc ceux qui doivent encore être considérés, malgré le net rapproché de Federer ces derniers mois, comme les deux meilleurs mondiaux. Pas parce que le classement le dit, mais parce que les trois dernières finales de Grand Chelem les ont opposés. Nadal ou Djokovic? Nole ou Rafa? Chacun a des arguments à faire valoir. Mais pour des raisons qui relèvent à la fois de lui, du Serbe et du contexte de Roland-Garros, Nadal aborde l'échéance avec une bonne longueur d'avance. J'y reviendrai ici-même avant le début du tournoi. Une chose est sûre, l'histoire les attend. Eux comme les autres. Mais eux, un peu plus que les autres.